
En réponse à la pièce de théâtre intitulé « Ils se sont aimés », les relations diplomatiques entre les pays favorables à l’énergie nucléaire et ceux au contraire y étant farouchement opposés ont toujours été électrisantes. La décision rendue ces derniers jours par l’instance européenne achève indubitablement les chances de voir un jour une suite emplie d’amour et d’affections communes…
Outre les divergences de point de vue sur les bénéfices ou au contraire les risques de l’atome, la décision rendue au dernier jour de l’année 2021 par la Commission Européenne quant à la fameuse taxonomie verte détaillant les énergies éligibles aux financements européens de transition énergétique n’a pas fini de faire parler d’elle.
En effet, dans son projet de labellisation ou « taxonomie pour une finance durable », la Commission Européenne annonce que le nucléaire et le gaz naturel font partie des énergies dites durables (sous conditions et dans le temps) favorisant ainsi la transition écologique. A noter toutefois que pour le second, il s’agirait d’une énergie dite de transition (c’est à dire pour lesquelles il n’existe – soi-disant – pas encore de solutions de remplacement présentant de faibles émissions de gaz à effet de serre et qui présentent les meilleures performances environnementales du secteur).
La victoire de cette décision est française, bien que l’Allemagne – furieuse concernant le nucléaire – n’est pas perdante avec le gaz naturel.
Mais revenons un instant sur ce qui se cache derrière ce mot étrange de « taxonomie » et les conditions à respecter pour y être « labellisé » !
Qu’est-ce que la taxonomie ?
Pour être plus compréhensible, la taxonomie est en réalité la science de la classification. Pour Bruxelles, il s’agit des activités économiques qui peuvent être considérées comme durables et qui bénéficieront d’investissements (parfois massifs).
Pour être considérée comme durable, une activité doit apporter une « contribution substantielle » à au moins l’un des six objectifs suivants1 sans causer de « préjudice significatif » à un autre de ces objectifs :
- Atténuation du changement climatique,
- Adaptation,
- Utilisation durable et protection des ressources hydrologiques et marines,
- Transition vers une économie circulaire,
- Contrôle de la pollution,
- Protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.
Ainsi et selon la Commission Européenne, le nucléaire et le gaz naturel ont leur place dans cette taxonomie !
Le nucléaire et le gaz naturel vertueux pour notre planète ?
« Compte tenu des avis scientifiques et des progrès technologiques actuels, ainsi que de la diversité des défis liés à la transition auxquels sont confrontés les États membres, la Commission estime que le gaz naturel et le nucléaire ont un rôle à jouer pour faciliter la transition vers un avenir essentiellement fondé sur les énergies renouvelables »
Tels sont les mots utilisés dans le rapport pour légitimer la décision.
Pourtant, l’une et l’autre de ces énergies n’apportent pas les mêmes résultats :
L’énergie nucléaire est une énergie qui émet le moins de CO2, qui occupe le moins de terres et qui nécessite le moins de matières premières2. Pourtant, ses détracteurs sont nombreux et ont pesé de tout leur poids pour éviter qu’elle soit considérée comme bénéfique à notre environnement. Il convient néanmoins de rappeler que l’énergie nucléaire a les plus faibles émissions de CO2 de toutes les sources d’énergies : seulement 5,1 à 6,4 grammes d’équivalent CO2 par kWh. Ses combustibles usés sont recyclables à 96 % et sans que cela ne soit exhaustif, aucune autre source d’énergie ne permet de produire autant avec aussi peu de minéraux et de métaux. Que dire encore de l’excellente compétence française dans ce domaine, où ses ingénieurs sont les meilleurs. Néanmoins, les dangers que représentent la fission nucléaire et les combustibles usés pouvant être hautement toxiques attirent les aboiements de certains. C’est oublier toute la sécurité et les règles drastiques qui entourent ce secteur.
A contrario, le gaz naturel émet 490 tonnes d’équivalent CO2 par Gigawatt produit tout au long de sa vie (là où les centrales nucléaires n’en émettent que 3 tonnes). Le nombre de morts par térawattheure produits est de 2,83 (contre 0,052 pour le nucléaire)3 et il émet entre 403 et 513 grammes d’équivalent CO2 par kWh. C’est loin d’être une énergie verte mais – et c’est la raison de la décision de la Commission Européenne – permet une transition vis-à-vis des énergies issues du pétrole ou bien du charbon, bien plus polluantes.
Le gaz naturel, s’il est moins émetteur de CO2 que le charbon (environ 1 000 gCO2eq/kWh pour ce dernier) reste bien plus émetteur de gaz à effet de serre que le nucléaire (80 fois plus).
La France et ses alliés tels la Pologne, la Finlande et la République tchèque par exemple défendent l’énergie nucléaire là où l’Allemagne et ses alliés tels l’Autriche, le Luxembourg et la Belgique par exemple, défendent le gaz naturel pour pallier à l’intermittence des énergies dites renouvelables (éoliens, photovoltaïques en têtes) sans oublier qu’il s’agit de nations opposées au nucléaire qu’ils estiment trop dangereux ; il est donc aisé de comprendre que le débat est plus politique qu’écologique.
Vers quels bénéfices ?
A l’heure où cet article est transcrit, les lignes rédigées par la Commission Européenne ne sont pas encore gravées dans le marbre puisque la décision finale est attendue d’ici quelques jours à la mi-janvier. Ainsi, des modifications pourront être apportées. Néanmoins, à l’étude de ce document voici l’horizon pour les deux sources d’énergies :
- Pour le gaz naturel qui est donc qualifié de « source d’énergie de transition », les investissements seront reconnus « durables » pour des centrales émettant peu de CO2. La Commission a
fixé un seuil inatteignable de moins de 100 grammes de CO2 par kWh. C’est la raison pour laquelle, une période de transition est prévue : les centrales obtenant leur permis de construire avant le 31/12/2030, verront ce seuil relevé à 270 grammes de CO2 par kWh à condition bien entendu de remplacer des infrastructures existantes moins performantes. Mais admettre que les centrales à gaz ont leur place dans la catégorie des énergies « durables » va permettre à l’Allemagne et aux autres pays européens adversaires du nucléaire de construire à moindre coût des équipements indispensables leur permettant de remplacer les centrales au charbon, plus polluantes, mais surtout, comme évoqué précédemment, de pouvoir compenser l’intermittence des énergies dites renouvelables (éoliens et solaires) qui bénéficient déjà d’investissement massifs. - Pour le nucléaire, les financements seront accordés à condition que les nouvelles centrales aient obtenu un permis de construire avant 2045. Ainsi, les travaux permettant de prolonger la durée de vie des centrales existantes devront quant à eux avoir été autorisés avant 20404. Cette précision permettra alors le financement du grand carénage du parc nucléaire français par EDF. Enfin, la Commission Européenne sera particulièrement regardante sur le traitement des combustibles usés mais également sur le démantèlement de certaines centrales sous le regard des traités existants.
Conclusion
La conclusion que nous pouvons émettre est donc mitigée. D’une part, enfin l’énergie nucléaire est reconnue comme durable et bénéfique à notre planète permettant de répondre à un objectif de transition écologique, mais d’autre part la politique s’est largement insérée dans les débats où les trublions – Allemagne en tête – souhaitent imposer leur propre point de vue sur la définition de l’écologie. Pourtant, le pays germanique ayant fait le choix de sortir du nucléaire par suite des événements de Fukushima en 2011 sait faire oublier qu’elle produit son électricité à hauteur de 47,5 % par des énergies fossiles (charbon, gaz et lignite) couplé à hauteur de 31,7 % par les énergies renouvelables (éoliennes, photovoltaïque et hydroélectrique)5. De plus, son réseau électrique est régionalisé (non centralisé) mais également fort dépendant aux énergies fossiles. Ses factures d’électricité sont les plus chères de l’Union Européenne et le pays mène actuellement une politique agressive, notamment contre le nucléaire français, afin de devenir la boussole énergétique de l’Europe.
N’oublions pas que l’Allemagne désire en sous-marin contrôler la distribution du gaz d’origine Russe en Europe. En effet, après avoir participé à la construction du gazoduc en mer Baltique NordStream 1, l’État Allemand finalise la construction de NordStream 2 le reliant à la Russie pour une distribution en Europe du gaz Russe. Cette opération permettra en outre à l’Allemagne et avec l’adoubement européen en matière de taxonomie, de sortir progressivement de sa dépendance au charbon et donc avec le gaz naturel de détenir sur son sol d’un complément parfait à ses éoliennes intermittentes.
Fabien BOUGLÉ, dans son remarquable livre intitulé « Nucléaire, les vérités cachées – face à l’illusion des énergies renouvelables »6 conclue cette stratégie de la manière suivante :
« […] Faire implanter un maximum d’éoliennes et de panneaux photovoltaïque, combiné à une baisse du nucléaire, permet de conforter le modèle économique des producteurs d’électricité à base d’énergie fossile comme le gaz. Dès lors, la sortie du nucléaire de la France pourrait conduire de facto à une dépendance aux énergies renouvelables vendues par l’Allemagne et à la nécessité d’utiliser en complément le gaz naturel russe dont la distribution sera également contrôlée par ce pays. »
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1 https://www.la-croix.com article du 20/12/2021 par Camille Richir
2 https://c-destailleurshenry.fr/lenergie-nucleaire-est-la-plus-durable/
3 Étude réalisée en 2007 rédigée par le professeur d’économie Anil Markandya, de l’Université de Bath en Angleterre et Paul Wilkinson, chercheur au sein de la Lodon School of Hydiene and Tropical Medicine.
4 https://lenergeek.com/2022/01/04/taxonomie-verte-commission-europeenne-inclure-nucleaire-sous-conditions
5 Article de Cécile Crampon, « Allemagne et Energiewende, stop ou encore » publié dans la « Revue générale du nucléaire », 16/09/2020
6 Éditions du Rocher – septembre 2021
Image par Dimitris Vetsikas de Pixabay
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